Gant de velours

Tout ce que tu n'as pas osé dire sur le monde ou à ta belle-mère. Considérations, pensées existentielles et poussières d'étoiles dans tes yeux. Du concentré d'humain, parfois reconditionné.

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Par Angéline Lcmb
12 mai · 2 mn à lire
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Les ateliers d’écriture vs la grande méchante IA

Le calame de la Plume de Maât #1

   Depuis quelques mois, j’essaie de faire de l’écriture mon métier. Oui, y a un petit côté kamikaze à tout ça, dans un monde où la culture s’efface peu à peu au profit des achats dit « prioritaires » (manger par exemple).

               Et comme je vous comprends. Je fais pareil.

               Mais alors, à quoi je sers, moi et mes petits ateliers d’écriture que je donne par-ci par-là ?

J’ai mis longtemps, vraiment longtemps avant de déterminer un prix pour mes séances. C’était LE nerf de la guerre, comme dirait l’autre, et pourtant l’aspect sur lequel j’ai le plus traîné, parce que je ne voulais pas que mes services représentent un luxe pour les éventuel·le·s participant·e·s.

               J’ai donc fait comme tout jeune entrepreneur en proie à autant de vagues d’espoir que de doutes : j’ai testé. J’ai tâtonné. Je me suis engouffrée dans des impasses. J’ai couru après l’argent, parce que oui, il faut que je mange et que je paie des factures. Je me suis plantée. J’ai eu envie de tout larguer, plusieurs fois.

               J’ai travaillé, sur un bureau, parfois du fond de mon lit.

               Parfois, j’ai bossé une heure par jour. Puis trois, puis quatre. Aujourd’hui les projets s’enchaînent et je ressens le manque de temps qui fouette mon cerveau à nouveau plein de vigueur et d’entrain.

               L’argent ne fait pas le bonheur, à ce qu’il paraît. Il peut toutefois aider à alléger la pression qui s’installe lors des démarrages d’entreprise. Trois ans. Il faut trois ans pour établir un bilan objectif et observer une intensification de l’activité… Ou décider de retourner au bon vieux salariat.

               Tout ça pour dire que vivre de son projet entrepreneurial, c’est une aventure qui forge des reins en acier ou qui vous réduit à néant.

               Et comme la contrainte de l’activité culturelle n’était visiblement pas suffisante à mon goût, il a fallu que je prenne en compte un aspect sociétal pas piqué des hannetons : l’intelligence artificielle.

               Difficile au premier abord de ne pas voir cet obstacle comme un caillou tranchant bien calé au fond de ma chaussette déjà trouée.

               Des ateliers d’écriture ont-ils toujours leur place et leur légitimité dans une société hyperconnectée et sur le point d’inventer une appli pour noter nos qualités d’êtres humains (un « HumanAdvisor » dans la continuité des télés-réalités)?

               Après réflexion, je pense que oui.

               Je dis ça, pas pour vendre mon activité (quoique, sur un malentendu, ça peut marcher…), mais parce que c’est un sujet qui interroge le monde de l’art en général. Les artistes peuvent-ils être devancés par une technologie qui pond des créations à la chaîne, en répondant à un cahier des charges arbitraire ?

               Non, et mille fois non.

               Une IA, elle peut t’aider parfois, ponctuellement, sur un sujet précis. Terminer une dissertation vaseuse sur l'impact des isotopes (me demande pas ce que c’est, moi je ne connais que ZZ Top. Et j’ai fait L.) sur l’environnement, créer un visuel publicitaire, remixer un titre de musique… Oui, bon. Je nuancerais un poil en disant que parfois, parfois, cette technologie, bien utilisée, peut avoir ses avantages.

               Mais honnêtement…

               Et l’âme, dans tout ça ?

               Tu sais, ce truc un peu brumeux qui fait vendre des tas de trucs aujourd’hui, du cercle de femmes au collier de pierres énergétiques, en passant par la lecture de ses vies antérieures (oui, je caricature)… Mais si, tu sais bien, ce petit truc-là, qui te fait dresser les poils quand tu lis un texte au lyrisme aussi soigné qu’une Lamborghini dans un garage à St Trop’.

               Je suis sûre que tu vois de quoi je parle.

               C’est une notion intangible, je te l’accorde.

               Mais elle est réelle.

               Parce qu’une intelligence artificielle, elle va te rendre un truc tout propre, ça, c’est certain. Elle aura répondu au mieux aux critères que tu lui auras fixés, pas plus, pas moins.

               Sauf que l’art, dans son essence, c’est loin d’être propre (oui oh, je te vois avec tes clichés sur les étudiants en lettre hein…). Dans le sens où, ce qui va rendre une œuvre unique, ce qui va la porter au rang de l’inoubliable, c’est la vulnérabilité que son auteur aura su traduire dans sa création. Ce sont les ratures, les brouillons, les imperfections, le caractère expérimental parfois, qui vont sublimer une œuvre.

               Entendons-nous bien : intelligence artificielle = robot, art = humain. Répète-le encore deux ou trois fois pour assimiler le truc.

               Un humain n’est pas parfait. Il ne sera jamais aussi lisse qu’une technologie dépourvue de bugs. Mais justement. C’est tout l’intérêt de l’art. Ne pas être lisse. Ne pas rentrer forcément dans des cases. Ne pas ressembler à tout le monde. L’art exprime un caractère unique, pas une suite d’algorithmes.

               Partant de là, participer à un atelier d’écriture, c’est faire le choix, conscient ou non, de cultiver une créativité dénuée d'apports technologiques. C’est se réapproprier les capacités de son cerveau et de son intuition pour s’aventurer sur les chemins alambiqués de la création.

               C’est prendre une route peu fréquentée, vers une destination plus ou moins connue, qui nous amène souvent à nous rencontrer nous-mêmes.

               Je n’essaie pas de te vendre du rêve, je te rassure.

               Mais ce que l’intelligence artificielle ne pourra jamais offrir, c’est la transcendance. Le coup de foudre artistique, celui qui tend à transformer l’auteur… Et le spectateur (ou le lecteur, tu le mets à ta sauce).

               Alors, oseras-tu passer la porte d’un atelier d’écriture ?